Un beau pape tout neuf. Voilà la vraie info du mois de Mars. En plus François est un Jésuite argentin… C’est cool ça, non ? Ok, on s’en fout. Et le rapport avec le titre de l’article ? Ben justement, c’est un film qui parle de Jésuites en Argentine.
Sauf qu’on est au milieu du XVIIIème siècle. Donc l’Argentine est encore un concept fort abstrait. Il est plutôt question d’Espagnols et de Portugais. Qui vont négocier puis s’entendre sur le partage de l’Amérique du Sud en deux zones contrôlées respectivement par les deux empires coloniaux. Le seul hic est qu’au milieu de la forêt, il y a des Indiens et il faut les virer. Et si les Ibères hésitent à faire le ménage, c’est parce que la Vatican protège ces communautés de Guaranis et ils ne veulent pas se mettre en froid avec la Papauté. Et puis les Indiens en question ils aiment le petit Jésus ! Là c’est n’importe quoi ce film, manque plus que Robert de Niro déguisé en pirate et on tombe dans le burlesque total.
Bon reprenons. Jeremy Irons, alias le frère Gabriel, en bon jésuite, se voit confier la mission d’aller évangéliser les communautés indigènes logées à la frontière entre les futurs pays de Pelé et Maradona (Brazil vs Argentina). Grâce à la musique (le pipeau) il va amener ces populations, autrefois adoratrices de la terre nourricière, vers un catéchisme très puissant car respectueux des coutumes locales. Ces indigènes font rapidement montre d’une grande foi et de pratiques très proches des premiers Chrétiens. Dans sa mission « civilisatrice » il va croiser le chemin de Robert « Mendoza » de Niro, ancien trafiquant d’Indiens, enfermé pour meurtre fratricide (2 frères + 1 femme = grosse baston à l’épée) et le conduit sur le chemin de la rédemption en faisant de lui un prêtre guerrier (la classe !).
Sauf que les Espagnols et les Portugais veulent que tout ce petit monde dégage des terres qu’ils ont si « légitimement » acquises. Lorsque les gentils Jésuites échouent dans leur tentative pour démontrer que les Indiens sont de bons Chrétiens, ils deviennent beaucoup moins calmes et organisent la résistance.
Donc c’est un film historique pétri de bons sentiments et bien mis en scène, c’est ça ? Si le réalisateur prend le soin d’identifier clairement les méchants et de mettre en valeur un christianisme primitif et authentique, il opte pour une vraie ambigüité dans son propos sur l’attitude du Saint Siège dans ces épisodes meurtriers qu’ont été les massacres d’Indigènes lors du partage des Amériques. Il met en perspective nombre de thématiques passionnantes. Les Indiens et leurs héritages, la colonisation, l’esclavage, le syncrétisme religieux, le rôle de l’Eglise, les Lumières…
Si le propos et, a fortiori, le scénario sont louables, c’est la réalisation qui est une vraie claque. L’image est belle, très belle. La scène d’ouverture aux chutes d’Iguazu est extraordinaire et tous les choix d’images viennent donner un côté majestueux à cette grande fresque historique : les couleurs sont lumineuses, les plans toujours justes et les décors grandioses. Mieux encore, Rolland Joffé réussit à opérer un vrai basculement visuel concomitant à l’entrée en guerre des Jésuites contre les troupes hispano-portugaises.
Mais la magie de cette œuvre se découvre dans la musique. A l’instar de ce qu’il faisait pour Sergio Leone, Ennio Morricone a composé une partition qui est partie intégrante du film. Des morceaux de flûtes interprétés par le frère Gabriel pour « apprivoiser » les Indiens aux grandes envolées chorales dans les missions guaranis, c’est tout le film qui est irrigué par des sonorités quasi mystiques.
Les acteurs sont habités par le propos. Robert de Niro témoigne de manière magistrale de toute l’ambigüité de son personnage, Jeremy Irons est en tout instant crédible dans son rôle de jésuite pacifiste et les Indiens, pour certains issus de la communauté Guarani, font montre de prestations d’une sincérité époustouflante.
Une œuvre complète, cohérente et qui se donne les moyens de son sujet, voilà ce que nous offre l’un des meilleurs réalisateurs des années 1980. Un film dont on ne ressort pas indemne. Qui pose plus de questions qu’il n’offre de réponses. Et peut-être l’un des rares moments de la grande histoire du 7ème art durant lesquels la foi se manifeste de manière authentique. Un film qui nous donne envie de croire, de nous plonger tout entier dans cette croyance primitive.
En 1986, Rolland Joffé est un jeune nouveau. Peu le connaissent encore, hormis ceux qui ont décelé son talent dans son premier film, la Déchirure, sorti deux ans plus tôt. Et puis une belle histoire se dessine: le jury d’un petit festival de cinéma du Sud de la France décide de le sélectionner. Le public est conquis, les jurés aussi. Un beau trophée doré vient récompenser le british director: la Palme. Excusez du peu!
Magnifique prix pour un film audacieux qui s’empare d’un sujet sensible et le traite avec brio. Comme un grand vin, une oeuvre cinématographique qui vieillit bien et n’a jamais été aussi actuelle dans son propos. A voir et revoir pour tous les amoureux de belles images… et pour tous les autres aussi.