Le réalisateur le plus connu au monde. Rien que ça ? Et en plus cette année il présidera le Festival de Cannes. ‘tain, sérieux, il n’en pas marre, le mec, qu’on parle toujours de lui ? Le problème c’est que Spielberg est au cinéma ce que les Beatles sont à la musique : qu’on aime ou pas, on connaît forcément.
Mais alors ça doit vouloir dire que c’est un peu naze, non ? Comme chez tous les grands du cinéma, il y a bien quelques ratés (Indiana Jones 4, Tintin, la Guerre des Mondes) mais quand on regarde l’ensemble, il faut admettre que ça en jette : Les dents de la Mer, E.T, Les aventuriers de l’arche perdue, Jurassic Park, Minority Report, Il faut sauver le soldat Ryan ou plus récemment Lincoln.
Mais avant tout cet étalage de films mythiques, il y a un homme. Un môme qui abandonne les études pour devenir technicien, puis assistant monteur et enfin réalisateur sur des séries et court-métrages dans les années 60. En 1971, il signe un contrat avec ABC pour réaliser un téléfilm : Duel. Cette course poursuite effrénée entre un représentant de commerce et un mystérieux tueur au camion sur les routes de Californie est un tel succès que le film sort en salles. Mais c’est en 1975 que Spielberg fait officiellement son entrée à Hollywood : l’énorme requin de Jaws va terroriser des générations de baigneurs du dimanche. A l’instar de son ami George Lucas deux ans plus tard avec Star Wars, le film génère tellement d’entrées que les majors (Universal, Fox,…) sont obligés de s’incliner devant les désidératas artistiques de cette jeune génération de directors (Lucas, Coppola, de Palma, Spielberg…). La classe !
A partir de là, grâce aux sociétés de production Amblin et Lucasfilm, les fondateurs du Nouvel Hollywood auront l’opportunité de produire et réaliser à peu près ce qu’ils veulent. Respectivement en 1977 et en 1982, Spielberg va donner ses lettres de noblesse à un genre nouveau, le films de martiens, avec A la rencontre du troisième type et E.T. Il porte désormais des projets vraiment personnels : le natif de Cincinnati a toujours été persuadé qu’une vie existait ailleurs. S’ils ressemblent à E.T, on signe tout de suite.
Les années 80 sont pour lui l’occasion de remettre au goût du jour un genre qui avait un peu sombré : le film d’aventures. Faisant appel à l’étoile montante d’Hollywood, Harrison Ford, il créé une batterie de codes qui ne seront jamais contestés par la suite : des méchants bien méchants (ex : des Nazis), une potiche sympathique, des scènes d’action aussi impressionnantes que farfelues (cf. la baston sur le tarmac de l’aéroport du Caire dans les aventuriers de l’Arche perdue) et l’appel à des grands mythes de civilisation (l’Arche d’alliance, les sectes hindous, le Saint Graal). En 3 films, sa franchise va acquérir une notoriété rarement égalée dans le cinéma. Avec George Lucas à la production, on assiste à la naissance d’un des duos les plus influents du 7ème art américain depuis 30 ans.
Sa société de prod’ Amblin, extrêmement florissante, lui offre le champ pour réaliser deux pépites, malheureusement un peu oubliées aujourd’hui. La première, la Couleur pourpre, adaptation du roman éponyme d’Alice Walker est très certainement le film le plus réussi sur la condition des Noirs du Sud des USA. A l’aide d’un Danny Glover au sommet de son art, il nous offre une œuvre ambigüe et puissante. La deuxième s’attaque à un sujet, encore aujourd’hui, négligé du cinéma : l’occupation japonaise de la Chine à partir de 1937. Spielberg a la clairvoyance de faire débuter un gosse aux mimiques époustouflantes -Christian Bale- et signe quelques scènes d’un génie rarement égalé : l’attaque du camp japonais par les chasseurs britanniques est un modèle du genre.
1991 est un tournant pour Steven. Après avoir produit les Goonies ou Roger Rabbit il décide de réaliser lui-même des films familiaux : Hook, A.I, Tintin ou Cheval de Guerre seront le fruit de cette volonté d’amuser grands et petits. Admettons-le ce n’est pas la meilleure partie de sa filmographie mais il sait malgré tout insuffler cette petite touche de magie bien à lui.
Il pratique désormais la diversification de portefeuille : ne jamais réaliser 2 films successifs qui appartiendraient au même genre. En 1993, il retourne à son amour des grosses bébêtes et bluffe tout son monde avec des effets spéciaux révolutionnaires : le Jurassic Park peut enfin ouvrir ses portes. T-Rex et vélociraptors vont effrayer une génération complète de gosses et auront un tel succès qu’en 1997, Steven remet le couvert.
Mais pour ne pas faire oublier qu’il sait faire autre chose que des films à sensation, en 1994, il présente la Liste de Schindler: optant pour le Noir et Blanc et un angle d’attaque novateur (un « Nazi » qui sauve des Juifs), il traite l’Holocauste dans toute sa complexité et écarte les pièges sentimentaux d’un tel sujet. Le seul film pour lequel il recevra l’oscar suprême.
Il alterne ensuite le bon et le moins. Ses grands fresques historiques (Amistad, Il faut sauver le soldat Ryan, Munich, Lincoln) témoignent de sa volonté d’éclairer le présent à la lumière du passé. Toujours efficace et touchant, il s’appuie sur une réalisation impeccable, son génialissime compositeur historique -John Williams- et des acteurs chevronnés (Anthony Hopkins, Tom Hanks, Daniel Day-Lewis…) ou en devenir (Djimon Hounsou, Matthew McConaughey, Daniel Craig, Matt Damon).
Et puis Indiana Jones 4, le Terminal et Tintin viennent un peu ternir le tableau. Certains lui reprochent aussi les choix de production douteux de sa société Dreamworks et son engagement dans des projets trop « faciles » tels que Transformers ou MIB III.
Sa meilleure période semble donc être 1975-1994. Toute la complexité de sa filmographie s’y révèle, les choix artistiques sont plus audacieux que dans les années qui vont suivre. Et par-dessus-tout on lit le génie de cet homme dans sa capacité à repenser ou même à créer du cinéma. E.T, Indiana Jones ou Jurassic Park sont des jalons de l’histoire du 7ème art. Pour un seul et même homme, c’est quand même extraordinaire.
Certains cinéphiles affirment en boucle : « Spielberg c’est convenu ». C’est convenu parce qu’il a (trop) souvent été imité. Mais, commencez, grandissez avec Spielberg et vous verrez à quel point le cinéma d’aujourd’hui n’est souvent qu’une rechiée des préceptes de cette jeune génération de réalisateurs, qui, dans les années 70, ont mis fin au cinéma mièvre que les grandes boîtes de production semblaient entériner car « ça plaisait au spectateur ».Le spectateur aime la nouveauté. Que ce soit dans le sujet ou dans la manière de filmer, celui qui « rêve pour gagner sa vie » a presque toujours souhaité un cinéma neuf. Probablement trop avant-gardiste, au regard du peu de médailles obtenues, il obtient enfin une reconnaissance de la part des grands « critiques » du cinéma en présidant, en mai prochain, le 66ème festival de Cannes. Parce que le 7ème art n’est pas réservé à quelques initiés mal baisés, Spielberg nous dit à quel point la magie doit en tout temps et en tout lieu s’opérer. Pour cela, les grands enfants que nous sommes doivent juste dire : « merci ».