Louisiane. 2012. Deux anciens inspecteurs, autrefois partenaires, sont convoqués, sans raison apparente, dans les bureaux de la police d’Etat pour venir s’expliquer sur une affaire élucidée 17 ans plus tôt.
Notre récit, sous forme de multiples flash-backs, démarre donc au printemps 1995 dans un grand champ du Nord de l’Etat Cajun. Une jeune femme est retrouvée pieds et poings liés, bâillonnée, des bois de cerfs sur la tête et un symbole satanique sur les épaules. Elle aura subi viol et mutilations avant d’être abandonnée par son bourreau dans cette mise en scène macabre.
Rust Cohle et Martin Hart qui viennent à peine de faire connaissance ont donc été assignés à l’enquête. Le plus vieux, Hart, un flic un peu à l’ancienne, est convaincu d’un meurtre en one-shot par un dément. Son jeune acolyte, sorte de détraqué pétri de génie, y voit l’affaire d’un serial killer. Et voilà nos deux compères partis en quête d’indices sur l’identité, les fréquentations et la raison d’être de la victime.
Ce qui devait être une enquête de routine devient très vite une lutte à armes inégales contre le mysticisme ambiant: l’Etat du Pélican est le lieu où se rencontrent la foi la plus dure, les traditions les plus obscures et l’hypocrisie la plus prégnante. Le non-dit est la règle.
Nic Pizzolatto, le scénariste, a fait le choix de faire nager le récit entre deux eaux: pas de pessimisme gratuit mais une trame qui ne laisse pas forcément présager le meilleur pour la fin. Les personnages, hantés par cette étrange enquête doivent aussi lutter avec leurs propres démons: drames personnels, adultère, alcool.
Pire, les deux flics n’ont pas du tout la même vision. Woody « Hart » Harrelson veut bien faire, se convainc que demain ira mieux, déteste qu’on discute sa foi et disjoncte face à l’inconnu. Matthew « Cohle » McConaughey est un pragmatique génial: tout est rationnel, Dieu n’existe pas, même la mort et le macabre ont du sens. Néanmoins, les deux acteurs se donnent admirablement la réplique et explorent avec grande habileté le rapport fascination-répulsion qui les lie.
Au-delà de ce jeu d’acteur digne des grandes heures du film noir des 70’s, c’est la réalisation qui fascine. Cary Fukunaga a saisi qu’il y avait quelque chose de vivant dans les bayous de Louisiane. Il porte la caméra de manière organique: aux plans larges contemplatifs se succèdent des visions rapprochées quasi pornographiques. Rien ne laisse indifférent, tout est fait pour que la matière philosophie qui sous-tend le récit se dévoile sans se dire.
On peut même légitimement s’inquiéter de ce travail de direction: si on omet le 16:9, True Detective est bien plus réussi dans l’image que 90% des films qui remplissent les salles obscures en ce moment.
Autrefois les séries étaient un divertissement du samedi soir pour se vider la cervelle et quelques paquets de M&M’s. Grâce à ce format de très très long métrage, les contraintes relatives aux sacro-saintes 120 minutes s’effacent: ici on développe les personnages, on s’attarde sur chaque élément du récit, on perd le spectateur pour mieux le ramener.
Alors certains diront: « ok c’est bien, mais on doit se faire chier, hein? » Il n’en est rien, le récit est lent mais les personnages ou les dialogues ne prennent jamais le dessus sur le script. Chaque pièce est utile au puzzle, une sorte de grand tout dont on sait qu’on verra la cohérence, mais pas avant la fin.
En bref, une œuvre magique, terrifiante, absorbante et terriblement efficace. Fort probablement la série de 2014.