1917 : fastueux journal intime

6 avril 1917. Nord de la France. La Grande Guerre est sur le point de basculer. Alors que le pays de l’Oncle Sam se prépare à entrer dans le conflit et bouleverser à jamais la face des opérations, le haut-commandement allemand décide de reculer la ligne de front. Politique de la terre brûlée et abandon de certaines positions ultra stratégiques sont au programme. Les Britanniques qui leur font face y voient une opportunité inespérée de frapper un grand coup et décident d’une contre-offensive décisive.

Mais cette opération n’est qu’un leurre visant à attirer les troupes de Sa Majesté dans les crocs des armées prussiennes. Deux jeunes soldats anglais sont envoyés au travers des lignes ennemies pour délivrer l’ordre qui les sauvera tous. Une mission, une quête ou un suicide, voilà ce qui attend nos deux héros à peine sortis de l’adolescence.

24 petites heures d’un voyage qui paraît une éternité. Livrés à eux-mêmes dans un enfer terrestre où la menace vient de partout : mines, snipers, terrain piégeux et soldats germains enragés…

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Un récit ordinaire qui devient épopée extraordinaire. Un portrait lyrique et terrible du Premier conflit mondial sur les épaules de deux grouillots. Le vrai quotidien des « soldats inconnus ». Habilement porté à l’écran par sa brillante distribution. Dean-Charles Chapman et Georges MacKay excellents habitués des séries qui trouvent enfin rôles à leur mesure, sont épaulés par un cheptel de comédiens chevronnés tels que Mark Strong, Colin Firth, Richard Madden et Benedict Cumberbatch !

Et à la baguette Sir Sam Mendes ! L’impérial réalisateur d’American Beauty, des Sentiers de la perdition, Jarhead et Skyfall est un homme qui compte aujourd’hui dans le septième art. Reconnu pour ses qualités de mise en scène depuis longtemps, l’homme a mûri son grand film sur le premier conflit du XXème siècle. Il a accouché d’une créature étrangement hybride : terriblement ambitieux dans la forme, simple et confidentiel dans le fond.

Son choix formel de ne jamais éteindre la caméra n’est pas une énième démonstration de force. Le plan-séquence a un but très précis : l’immersion. Ce sentiment que nous n’assisterons pas à l’action mais qu’elle fera partie de nous-même. Comme si nous étions le troisième larron qui assiste impuissant au commando suicide de deux amis. Une mission qui démarre au cœur d’une journée ordinaire et se complexifie à mesure que le soleil décline.

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Une plongée dans l’abîme puis une renaissance en trompe-l’œil ! Depuis un no man’s land vidé de toute forme de vie jusqu’à la nouvelle ligne de front, le décor épouse la transformation des personnages. La menace toujours et partout se métamorphose au gré du récit et de l’action pour un acmé dans chaque acte. L’effondrement de la tranchée, la fuite dans Écoust et l’emballage final bénéficient toutes trois de conditions formelles qui racontent l’impossibilité de cette mission.

L’attente, la détonation puis la terreur dans le premier acte.

Viennent ensuite la déshumanisation, la fuite et la lumière sépulcrale d’un déclin annoncé.

Enfin l’aube, le supplice tantalien de la ligne d’arrivée et cette course superbement irréfléchie sur la ligne de front.

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D’un parcours d’obstacles où chaque épreuve est plus insurmontable que la précédente. Avec un seul résultat à la clé : l’absurdité. L’absurdité qui accable deux jeunes hommes pétris des meilleures intentions et animés par l’amour de leurs proches, de leurs camarades. Qui finiront nécessairement broyés dans un système militaire qui les conduit à l’échafaud sans autre forme de procès. 

Ainsi, le digne héritier du plus grand film sur le sujet, les Sentiers de la Gloire, le chef d’oeuvre de Sam Mendes s’offre même le luxe de surpasser son glorieux aîné sur son exigence de réalisme. Le projet n’est pas ici de raconter la guerre en deux heures, mais de proposer une vision immersive, intimiste et même naturaliste de l’enfer des tranchées.

Les moyens mis en oeuvre, l’excellence des décors, de la bande-son et tous les meilleurs ingrédients habituels d’un chef d’oeuvre sont ici réunis pour offrir à de modestes spectateurs que nous sommes un tableau de David qui ne dit pas son nom. Une chronique babylonienne de deux héros ordinaires. Le colossal au service du dérisoire. Ou peut-être l’inverse d’ailleurs…