Gomorrhe. Ville biblique détruite pour ses mœurs décadentes, au temps d’Abraham. Un nom mythique pour le livre de Roberto Saviano et son adaptation cinématographique primée à Cannes. En 2013, Sky Italia et Stefano Sollima décident de reprendre l’univers porté à l’écran par Matteo Garrone pour en faire une série sur la mafia.
Naples dans tout ce qu’elle a de plus sombre. La Camorra règne sur sa banlieue. La corruption est partout. Politiciens, flics, chefs d’entreprises et autres garants moraux sont soumis à quelques parrains influents. Don Pietro Savastano dirige d’une main de fer son clan et dispute à Salvatore Conte les trafics et autres petits business locaux. Mais leur opposition va prendre un mauvais tournant lorsque le chef de famille décide de faire éliminer son jeune rival. C’est le début d’une guerre clanique à l’issue nécessairement dramatique.
Dans le même temps, Ciro, l’homme de main de Don Pietro et meilleur ami de son fils Genny, monte progressivement en grade dans la famille au point de s’imposer comme le successeur naturel du parrain. Mais ni les proches de Savastano, ni ses amis de longue date ne l’entendent de cette oreille. La guerre fraternelle couve.
Il est étrange de constater que la mafia italienne entretient mille fantasmes et reste une sorte de totem absolu pour tout ce qui touche aux activités criminelles alors que les œuvres de fiction qui traitent le sujet frontalement sont rares. Certes, le cinéma américano-italien des années 70-80 (Coppola, Scorsese, Brian de Palma…) est irrigué par la thématique des puissantes familles criminelles siciliennes mais le berceau de la mafia qu’est l’Italie du Sud est toujours abordé de manière périphérique.
Gomorra corrige admirablement cet écueil et dresse un portrait féroce de la Campanie contemporaine. Au travers d’un récit digne des grandes heures des films de gangsters, se découvre progressivement tout le drame qui touche cette région où la sphère politique, l’Eglise, les forces de l’ordre et les milieux économiques sont complices des petits malfrats. Mais pire encore, La Camorra est la clé de voute du système. Sans elle, tout s’écroule.
Les producteurs se sont donnés les moyens de réussir cette puissante fable sur le crime et ses affres. 18M€, 37 semaines de tournage et une exigence de réalisme omniprésente : les décors sont réels. Tellement réels que la réalisation a été interrompue à plusieurs reprises, à l’initiative d’élus locaux effrayés de l’image désastreuse que la série renvoyait de leur région. Et par des enquêtes policières consécutives aux assassinats commis sur les lieux mêmes du tournage !
Mais plus que la grosse machine logistique qui est derrière, c’est la qualité du scénario qui étonne. En reprenant le matériau de départ du livre de Saviano et bien aidé par un contexte propice aux histoires « romantiques », Stefano Bises a réussi à raconter un univers fascinant, criant d’une vérité quasi mythologique. Où cette tripotée de très bons acteurs n’a plus qu’à se rendre la réplique et donner vie au clan Savastano.
Une série italienne qui s’attaque au sujet de la mafia, c’était un sacré pari. Avec l’exigence de ne pas être caricatural, tout en tenant le spectateur derrière son écran, c’était mission quasi impossible. Et pourtant, tout cela fonctionne à merveille. Pour une raison aussi dramatique qu’évidente : la mafia n’est pas une fiction et le malheur de ces pauvres gens est un formidable ressort narratif.
Triste. Beau. Italien.